Qui a peur de la traduction? En tout cas pas ceux qui l’étudient de façon professionnelle, dirait-on. Toutefois, c’est le contraire qu’on se voit obligé de constater en lisant ces Actes. Il paraît en effet que la traduction en tant que telle n’est plus guère qu’un prétexte pour maint théoricien de la traduction littéraire. Si tous s’accordent pour comprendre le phénomène en question comme l’acte de rendre le même texte dans une autre langue, c’est moins sur la nature de cet acte que sur sa fonction que se concentrent les recherches actuelles. Précisons tout de suite qu’il ne s’agit pas d’un simple caprice: toute traduction impliquant une prise de position normative (la représentation totale de l’original étant impossible), on supposera sans peine que ce sont en dernier lieu les besoins de la culture cible qui dictent les règles du jeu – d’où la légitimité, voire la nécessité d’une approche pragmatique. Ajoutons à cela que cette approche a indéniablement remporté des succès remarquables, dont le moindre n’est pas d’avoir démasqué l’idéologie des littératures prétendues ‘nationales’: l’autonomie supposée de ces catégories s’avère toujours fondée, par le biais de la traduction, sur le prestige d’une culture étrangère… Reste pourtant le simple fait que si la traduction est un acte, c’est avant tout un acte cognitif, sinon l’acte cognitif par excellence. Réduire celui-ci à un phénomène socio-culturel parmi d’autres, c’est négliger une question éthique inéluctable: Comment faire justice à cette chose que j’ai devant moi? Comment traduire?
- José Lambert & André Lefevere (eds), La Traduction dans le développement des littératures, Actes du XIe Congrès de l’Association Internationale de Littérature Comparée (Paris, 20-24 août 1985), Vol. 7. Peter Lang/Leuven University Press, 1993.
[Rapports – Het Franse Boek 65:2 (1995), © Martin de Haan]