Le programme Nouvelles Voix de l’Institut français des Pays-Bas soutient des projets éditoriaux néerlandais promouvant les auteurs français contemporains. Le 30 septembre 2021, à La Haye, eut lieu une célébration fêtant 30 ans de soutien à la traduction. J’écrivis pour l’occasion un petit discours laudatif.
Ce sont plus de vingt traductions, pratiquement un tiers de tous les titres traduits depuis 1990 par mes soins du français en néerlandais, qui ont reçu le soutien du programme des Nouvelles Voix. Mon auteur fétiche, Pierre Michon, pour ne citer que lui, a été soutenu pour quatre titres parus au fil du temps chez l’éditeur Van Oorschot; il est probable qu’il n’aurait jamais été aussi intensément traduit sans ce soutien, au point qu’en néerlandais l’oeuvre quasi intégrale de cet auteur relativement difficile d’accès a été rendu accessible, ce qui n’a été le cas dans aucune autre langue.
L’exemple de l’oeuvre de Pierre Michon illustre un point de sociologie littéraire sur lequel j’aimerais ici attirer l’attention. Le programme des Nouvelles Voix porte très bien son nom: ce programma de subventions a joué et joue encore un rôle fondamental dans la diversification de l’offre de titres français en traduction néerlandaise depuis trente ans; il contribue à réduire l’écart – dans l’offre susdite – entre le marché restreint de la littérature novatrice, destinée aux lecteurs professionels et à un public non encore défini, et le marché élargi de la littérature-grand-public. C’est bel et bien une correction, un infléchissement du corpus de la littérature française traduite que ce programma rend possible, car si la littérature à vocation commerciale a pu à l’occasion bénéficier du soutien du programme, on peut raisonnablement supposer c’est pour les titres aux tirages restreints, écrits par des auteurs encore inconnus, novateurs, que cette subvention a souvent été l’argument sine-qua-non dont ont dépendu les choix éditoriaux. En d’autres termes, en aidant à augmenter la part de la littérature française traduite qui n’a pas encore trouvé son public, le programme Nouvelles Voix est un facteur indispensable d’enrichissement de la littérature néerlandaise par le biais des traductions du français.
Et vous l’aurez deviné, c’est cette littérature-là – celle qui est novatrice, expérimentale ou simplement singulière, car liée à la ‘nouvelle voix’ d’un auteur précis, non encore consacré – qui pour moi, traducteur singulier, est la plus intéressante. À mes yeux, il n’est pas exagéré de dire que Nouvelles Voix est devenu depuis trente ans un agent irremplaçable de l’échange littéraire entre pays francophones et néerlandophones, contribuant au décloisonnement, au déconfinement de la littérature traduite et la libérant des entraves financières qui empêcheraient les lecteurs néerlandais de découvrir toute l’ampleur de ce qui s’écrit de plus intéressant en français.
- Rokus Hofstede / Montricher, septembre 2021