Kreupelhout n’est pas du bois mort. Bois mort, deadwood: dans la mythologie du Far West américain, la ville des espoirs décus où tous les chemins finissent. Le kreupelhout, au contraire, est vivant. Comme tous les arbres, le kreupelhout aspire au soleil; mais quelque chose dans ses gènes, un mauvais héritage, un poison, tord son ossature.
En anglais comme en néerlandais, il y a un embrouillamini lexical autour des mots kreupelhout – kromhout / cripplewood – gnarlwood (gnarles, knurled, knarled: le même mot dans différentes variantes):
(1) kreupel – kruipen / creep – crouch – crutch (kruk)
(2) gnarl < gnarled, snarled (knotted) / knoers < knoestig
(3) snarl: (1) a snare (trap), (2) a tangle, knot (of hair) / knoop: knobbel, kwast (knoest), kluwen
Le kreupelhout qui ne peut se redresser, qui croît courbé, accroupi; dans les membres desquels nous découpons des béquilles (crutches) pour ceux qui ne savent que ramper (creep); arbre étêté (knotted), noueux (gnarled), galeux (snarled).
Il y a deux sortes de nœuds: ceux qui sont rationnels, de facture humaine, et qui, ayant été noués, peuvent être dénoués; et ceux qu’on trouve dans la nature, qui ne se défont pas, sans solution, sans oplossing.
Cripple / kreupel (“boiteux”): l’emploi de ce mot n’est plus “politiquement correct”. Écarté comme malséant, il a été rejeté dans le monde d’où il venait et auquel il appartenait, un monde de cabanes et de casernes, d’égoûts à ciel ouvert et de caves à charbon, de charrettes attelées et de chiens mourants dans la rue. Un monde indésirable, repoussé, réprimé, enterré.
Le kreupelhout pousse du passé enterré vers notre présent propret, tendant ses doigts noueux à travers le grillage derrière lequel nous l’avons enfermé.
J.M. Coetzee
Adelaïde, le 14 février 2013
(Traduction de l’anglais: Rokus Hofstede & Caroline Lamarche, in: Cripplewood / Kreupelhout, Berlinde de Bruyckere & J.M. Coetzee, Mercatorfonds 2013, 55th International Art Exhibition La Biennale di Venezia.)