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Un déluge antédiluvien: traduire Roorda

‘La pluie remonte à la plus haute antiquité1.’ Note en bas de page : ‘1 Je prie le lecteur de bien vouloir excuser cette pluie qui « remonte » (N.d.A). (Henri Roorda, ‘Le parapluie’, in : Le Roseau pensotant, 1923)

Qui se targue de traduire Henri Roorda, quelle que soit sa langue-cible, doit se préparer à jouer sur les mots. Roorda, Lausannois d’ascendance néerlandaise (1870-1925), prof de mathématiques et pédagogue rebelle, auteur pessimiste et facétieux à la langue ‘délicieusement impromptue et primesautière’ (Edmond Gilliard), a écrit durant une petite décennie des chroniques dans des journaux comme La Gazette de Lausanne et La Tribune de Genève. Je prépare une anthologie néerlandaise de ces chroniques, choisies parmi les quelque 500 que Roorda a écrit, en espérant introduire Roorda, et son humour pince-sans-rire très particulier, dans le pays de ses ancêtres.

Des jeux de mots, Roorda en invente à tout bout de champ. S’ils sont inégalement réussis, ils font dans le meilleur des cas pendant une seconde vibrer le sens et insufflent au lecteur une minuscule sidération. Dans ‘Le parapluie’, Roorda remarque que la pluie a été parmi nous de tout temps mais que le parapluie est une invention récente : ‘Il y eut donc des milliers d’années durant lesquelles l’eau du ciel arrosa un nombre fantastique de crânes humains, sans que dans aucun d’eux germât l’idée salvatrice. Les siècles s’écoulaient; les promeneurs se faisaient tremper; et personne n’inventait le parapluie. Il y a là quelque chose qui me stupéfie. Car nos ancêtres n’étaient pas des imbéciles (…)’.

Un peu plus haut, l’auteur a fait « remonter la pluie à la plus haute antiquité ». Et d’ajouter un petit ‘1’  et une note en bas de page : ‘1 Je prie le lecteur de bien vouloir excuser cette pluie qui « remonte »’. Inutile même d’envisager une traduction littérale de ladite note si on rate le jeu de mots – à ce prix-là il vaudrait encore mieux carrément la supprimer ou à la rigueur envisager d’en introduire une autre ailleurs. Mais avant de se décider, regardons de plus près.

Il y a dans ‘remonter’ une idée de verticalité, essentielle pour que le jeu de mots fonctionne, qui se perd en traduction. Pourrait-on rendre la pluie ‘vieille comme le monde’ ou ‘vielle comme la route de Rome’ ? Mais une ‘vieille’ pluie ne déridera personne. Pourrait-on la faire tomber ‘de mémoire d’homme’, ‘depuis que le monde est monde’, ‘de toute éternité’, ‘d’Ève et d’Adam’ ? Mais elle ne tombe pas toujours, cette pluie, Dieu merci. Dans ce même ordre d’idées, pourrait-on la faire ‘remonter au déluge’? Le déluge étant notamment une pluie très abondante, torrentielle, et ‘remonter au déluge’ signifiant : être d’avant le déluge…

Traduction de la traduction : ‘La pluie remonte au déluge1.’ Note en bas de page : ‘1 Je prie le lecteur de bien vouloir excuser ce déluge antédiluvien.’ (N.d.A.)

Parfois, pour que germe l’idée salvatrice, il suffit d’attendre un peu. Ou de prendre une douche.

  • in: La Cinquième saison, Revue littéraire normande, mars 2020. no. 10, ‘Le festin de Babel’, p. 197-198

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